CARNET D’ENDORPHINES

Claudine Roy, la Gaspésie au cœur

Dans quelques jours, je paqu’te mes p’tits, mes raquettes pis mes skis et je monte dans l’autobus en direction de la Gaspésie. À Matane, je vais retrouver le son de l’accordéon, les rires shootés aux endorphines, la rincée de Radoune – le gin local – qui décrasse et les grosses étreintes d’ours de la gang de la Traversée de la Gaspésie (TDLG). Là-bas, j’aurai froid, j’aurai mal, j’aurai le cœur qui bat à mille palpitations à la minute et le souffle coupé autant de fois, mais dans ses fjords, ses Chics et ses Chocs, je serai heureuse.

En ce jour de la Saint-Valentin, je l’avoue sans détour, mon coup de foudre de 2017, c’est une péninsule. D’elle, je prends tout, la sueur, le sang, les larmes et le fait que l’amour à distance, c’est dur sur le cœur.

La grande entremetteuse de cette histoire d’amour hors normes, la sorcière qui gère « sa » traversée de la Gaspésie comme on gère une agence de rencontre, grand amour à la clé, et flasque de Radoune dans le pack-sac, c’est Claudine Roy.

C’est elle, la fondatrice de la TDLG. En bottines, en skis, en raquettes, alouette. Bientôt, on va la nager avec les gros phoques noirs qui viennent mémérer en troupeau dans une crique du parc Forillon.

C’est à cause de Claudine qu’au plus beau de l’automne, j’ai grimpé le mont Xalibu, dévalé les sentiers escarpés du mont Albert et slalomé entre les crottes d’ours du parc Forillon, le cœur exalté comme une héroïne des sœurs Brontë.

C’est à cause d’elle aussi si j’y retourne au cœur de l’hiver et qu’une fois de plus, je me déchirerai les jambes à skier par monts et par vaux sur toutes les cimes des Chic-Chocs, les cils frisés de frimas, l’étincelant bleu du ciel en bar open.

T’as bien réussi ton coup, ma mauzuss.

Remarquez, on se fait tous prendre.

Claudine est minuscule, mais c’est une ratoureuse. D’abord, quand elle te regarde, elle a beau te flasher un sourire radieux, elle te scan l’âme. En trois secondes, elle sait exactement de quoi t’es fait. Dret-là.

C’est intimidant.

Ensuite, en vieux runnings et sans bâtons, cette jeune biquette de montagne à l’aube de la soixantaine (!) te grimpe le mont Albert comme d’autres vont luncher au St-James. Jase avec une, discute avec l’autre, le regard laser en vision 360 tout le long. Avec elle, on ne laisse personne derrière. Et comme elle est drôle en plus, tu sais pus si t’as mal au plexus à cause de l’effort ou de son humour mitraillette.

On pense, ô grands naïfs, partir en expédition pour six jours. On se croit en voyage de sport à grimper des montagnes, et à se mesurer avec nos limites, on est persuadés qu’on en sortira indemnes. Comme les autres fois.

Dans les faits, et ça, tu le sais pas encore, tu t’en viens adopter un pays…

Dans le temps (que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître), les vieux disaient qu’on n’était jamais propriétaire d’une terre avant de l’avoir « marchée ». Une clé fondamentale que la belle Claudine a comprise depuis longtemps, elle qui sait très bien que le sentiment d’appartenance, ça ne se développe pas dans un salon et que pour l’avoir au cœur, il faut l’avoir dans les jambes. Et elle ne va pas la brader sa péninsule, oh non, elle va te l’ancrer dans le ventre une racine à la fois, une roche à la fois, un escarpement à la fois.

Jusqu’en haut.

C’est en marchant une terre qu’on se l’approprie, qu’on a envie d’en prendre soin, et qu’on la porte en soi comme un virus indélogeable qui nous condamne à la plus belle des maladies : le désir de revenir.

J’arrive, Claudine, j’arrive.

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